LA MÉMOIRE DU SOL
« Architecte insulaire », fils d'Européens établis en « Terra Australis », mon enfance s'est construite en pleine dictature dans un campement minier isolé au Nord du Chili, entre lingots de cuivre, traces poussiéreuses des civilisations précolombiennes et immensité sans mesure du désert d'Atacama.

J'ai grandi au milieu d'un vaste plateau rouillé, sous un ciel lourd de lumière damant les montagnes et sur des ruines ensevelies par des tonnes de terre corrodée. Je percevais ces territoires infinis,
comme une étendue vierge assez homogène et sans hiérarchie, où l'absence de repères mettait en valeur leur condition d'horizontalité et d'inachèvement les rendant indomptables.

J'ai toujours eu la sensation que la compréhension du désert se trouvait en profondeur, en creusant l'histoire latente et silencieuse du sous-sol. Des nombreuses fouilles archéologiques confirmèrent cette approche. L'apparition progressive de vestiges évoquait autant les successives couches géologiques que les exploitations salpêtrières, les sentiers incas et les corps des disparus de la dictature laissés à l'abandon. Cependant, le plus révélateur de ces excavations était ce qu'elles dévoilaient : une volonté ancestrale de défier et de contrôler l'espace, de s'enraciner dans ce territoire insaisissable en le fragmentant, en profanant l'immensité sacrée pour établir des limites et définir des LIEUX solidaires grâce aux interstices auparavant inexistants.

Perçues comme des vues aériennes, des plans urbains, des sondages géologiques ou des fouilles archéologiques, mes gravures, fortement conditionnées par mon métier d'Architecte, ne se résument pas seulement à un exercice technique. Dans la radicalité du Noir et Blanc, elles sont le support des profondes réflexions spatiales, des véritables «constructions» stratifiées, qui valorisent des notions
complexes comme celles de Territorialité, de Limite ou d'Interstice, dans le seul objectif de révéler ce moment de vérité où les éléments commencent à (co) exister. […] Dans la perspective du temps, je découvre que ce passionnant jeu d'échelles - où l'on doit découper l'espace dans son universalité pour comprendre sa logique - a toujours conditionné mes défis. «La ville te suivra… où que tu ailles tu débarqueras dans cette même ville» disait le poète Kawafis.